Le féminin est utilisé pour alléger le texte, car je sais que je m’adresse surtout à des mamans. Mais tous les parents sont les bienvenus. Vous vous sentirez toutefois probablement plus visé si vous êtes le parent principal.
La perfection et plus largement les attentes sont probablement une des choses qui nous empêche le plus de profiter de notre parentalité. Je vais être clair dès le départ, il y a une grande part de pression sociale là-dedans, mais ce n’est pas cet aspect que j’aborde aujourd’hui (je vais définitivement en reparler plus tard).
Notre société est en constante recherche de perfection, depuis la petite enfance jusqu’à l’école et dans le monde du travail (évidemment), dans l’apparence physique, la santé, tout.
La norme et les attentes sociales
On devrait «fitter» dans les normes (mais qu’est-ce que la norme, sujet pour une autre fois) et tout faire parfaitement comme on s’attend de nous. Et cette pression, on l’intériorise, et elle devient partie intégrante des attentes qu’on a envers nous-mêmes. On se met à attendre de nous-mêmes d’être parfaite et que nos enfants le soit aussi, notre vie, notre maison, etc. Cette pression et ces attentes sont tellement élevées qu’on ne peut jamais vivre à leur hauteur et qu’on est déçu de nous même à répétition, tous les jours. Et dans le monde de la parentalité c’est extrêmement présent, d’autant que non seulement on a des attentes démesurés envers notre parentalité et, soyons honnêtes, nos enfants, mais aussi parce que le jugement dans ce monde est présent partout et très rapide à tomber dès qu’on est pas conforme au moule dans lequel on évolue.
Et peu importe l’approche ou le style parental qu’on adopte, ce jugement est partout, peut-être même encore plus dans les approches «positives» et « modernes» de la parentalité où le jugement vient des deux côtés : l’ancienne garde qui nous juge comme trop laxe et les gourous du milieux (mais surtout les autres parents qui tentent d’appliquer l’approche mais n’y arrivent pas plus que nous) qui nous trouve trop strictes ou pas assez.
Bref on ne s’en sort pas, on ne fait jamais rien comme il faut.
Nos attentes envers nous-mêmes1
Et puis notre propre jugement de nous-même se met de la partie parce qu’on voit toutes ces recommandations, on a lu tellement de livres, écouter des podcasts, fait des formations, aller aux rencontres dans les organismes communautaires, parfois même embauché des «coach parental» ou des «spécialiste du sommeil des bébés» et tout ça n’a pas vraiment eu d’autres résultats que de nous faire sentir encore plus incompétents dans notre rôle de parent, parce que ces personnes réussissent avec nos enfants là où on échoue ! Parce que ça semble tellement simple, évident et logique quand c’est expliqué comme ça ! Pourquoi on n'y arrive pas ? Pourquoi nous, on échoue ?
Parce qu’en fait, on n'échoue pas notre parentalité, on échoue pas à prendre soin de nos enfants, on échoue à le faire au niveau de nos attentes. C’est une distinction essentielle !
Et nos attentes, elles sont souvent, souvent, bien trop élevées pour la réalité. Parce que ce qu’on voit comme recommandation n’est pas en ligne nécessairement avec NOTRE réalité et NOS enfants (c’est une conversation pour une autre fois). Parce qu’il n’y a que nous qui connaissons vraiment notre réalité et nos enfants, mais que même nous, on s’impose des standards qu’on ne peut pas atteindre. Et quand c’est en lien avec nos enfants c’est probablement pire même qu’au niveau professionnel ou dans l’entretien de nos maisons, parce que c’est tellement important et émotif, parce qu’on entend partout qu’on va les ruiner, les détruire, que «tout se joue avant 5 ans»…la pression est est sans fin. Mais soyons bien honnête, peu importe ce qu’on fera, ces enfants sont des petits humains bien à eux et notre contrôle sur leur avenir, bien qu’important, reste limité :
«Nous avons une obligation de moyen, pas de résultats»
Nous pouvons faire de notre mieux, mais nous ne contrôlons pas ce qu’ils vont devenir et ne pourrons pas les protéger de tout, même si on le souhaite ardemment !
On perd le contrôle quand on devient parent
Le contrôle justement est souvent la raison pour laquelle nous nous surinvestissons dans notre parentalité. Quand on est habitué, comme adulte sans enfants, à avoir du contrôle sur la plupart des aspects de nos vie, qu’on a fait des études pour accéder à un emploi qu’on souhaitait avoir, qu'ont réussi dans cet emploi, qu’on a un plan de carrière (même s’il inclut une pause pour les enfants pour plusieurs, il est là, quelque part), on a acheté une maison souvent, tout ça aussi était planifié et contrôlé, on contrôle notre horaire… puis on a eu des enfants et on perd tellement de ce contrôle sur notre vie !
Mais on reçoit le message qu’on est responsable de comment nos enfants vont tourner ! Donc qu’on devrait encore, ici, tout contrôler ! Alors que non, on ne contrôle pas grand chose et souvent, les débuts de la parentalité sont une totale perte de contrôle et de repères et ça peut être difficile de les retrouver. Ce n’est pas parce qu’on est compétente, efficace et qu’on se sent confiante dans d’autres sphères de notre vie, qu’on a, ou même qu’on devrait, avoir le même sentiment comme parent, c’est normal que ce soit variable une sphère de vie à l’autre, d’une facette de notre identité à l’autre 2. Mais c’est particulièrement difficile de se sentir incompétent comme parent quand on a l’habitue de l’être dans ce qu’on fait d’autre (j’élaborerais là-desus une autre fois).
Nos attentes compliquent notre prise de décision
Nos attentes peuvent aussi avoir un impact sur notre prise de décision par rapport à nos enfants et à notre parentalité et pas toujours un impact positif. On peut mettre de côté rapidement des idées ou des options qui ne semblent pas cadrer avec nos attentes, avec notre vision, mais qui, dans le fond, pourraient être plus positives pour nous ou nos enfants, même si elles sont différentes. Notre besoin de perfection fait aussi qu’on ne se fait pas confiance, qu’on ne fait pas confiance à notre instinct et que quand quelque chose semble avoir du sens logiquement on va, plus souvent qu’autrement dans ce sens, même si, dans le fond, on est pas confortable avec cette décision. On a tendance à la justifier, à la rationaliser pour continuer avec cette décision qui cadre avec nos attentes et/ou avec celles de la société et parfois on s’obstine à poursuivre avec une mauvaise décision bien trop longtemps.
J’ai fais cette erreur plus d’une fois, mais particulièrement avec le choix de l’école maternelle et de la garderie de mes plus vieux (il y a presque 10 ans), les deux étaient parfait sur papier, c’était conforme à mes attentes, ce qu’on voulait en théorie comme école et comme milieu de garde… mais on avait un mauvais feeling qui c’est confirmé. Ça a prit l’année au complet avant qu’on décide que c'en était trop et qu’on retire les deux enfants de leurs milieux. Et ça n’avait aucun sens de faire ça ! Du jour au lendemain on s'est retrouvé à faire l’école à la maison (pendant deux ans) un concept dont on avait même pas vraiment entendu parlé avant (c’était bien avant la pandémie). Et ça n’avait aucune logique de faire l’école à la maison, la pression autour de nous et notre propre construction n’allait aucunement dans ce sens mais à ce moment ça a fini par être, pour nous, la seule solution. Qui n’a pas été magique, mais qui nous a permis de sortir de cette situation insupportable. Mais au départ, si on s'était écouté, on ne se serait pas retrouvé dans cette situation, si on avait fait un choix différent on aurait pas eu à sortir d’une situation qui nous torturait tous émotionnellement.
Évidemment c’est facile de dire ça en regardant en arrière et l’objectif ici n’est pas de verser dans le regret : Nous avons fait de notre mieux avec les informations que nous avions en main à ce moment. Mais on ne s'est pas suffisamment écouté et c’est ce que j’encourage les parents à faire le plus possible : S’écouter plus, écouter plus nos enfants, pour vrai. Écouter moins nos peurs, nos insécurités et la pression extérieure. Est-ce que c’est facile ! Oh que non ! C’est simple à écrire mais autrement plus complexe à appliquer.
Prendre conscience de nos attentes et de celles de la société
Alors, que pouvons-nous faire ? Ce sentiment d’être tiraillé est tellement désagréable ! Tout d’abord, je le dis souvent, la première chose à faire est d’en prendre conscience. De prendre conscience que nos attentes ne sont pas réalistes. De prendre conscience que beaucoup de ces attentes ne sont pas vraiment les nôtres en fait mais celle de la société (ou de notre belle-mère, ou de notre tante, ou de notre collègue de bureau, ou de cette autre maman sur Facebook). La prise de conscience, même si elle semble simple et anodine, est puissante. C’est un des éléments que j’adore de mon travail avec les parents : refléter des choses pour accompagner à prendre conscience de ces éléments qui nous nuisent mais dont, souvent, on n'a pas vraiment conscience. Et quand on a pas conscience de ces pressions, qu’elles soient externes ou internes, on en est prisonniers. Prendre conscience ne nous libère pas instantanément, mais ça nous permet de remettre doucement certaines choses en question.
Modifier nos attentes
La remise en question de nos attentes, est une des choses qui va nous permettre de mieux vivre notre quotidien. Et je sais que ça peut être difficile parce que ces attentes, on y tient ! Et baisser nos attentes c’est montrer (à soi et aux autres) qu’on est pas capable de les atteindre non ? Non. C’est montrer à soi et aux autres que nos attentes ne sont pas réalistes. Et attention, je ne dis pas de tout lâcher, de toute façon je sais que vous ne seriez pas plus capable que moi ! On peut voir des rêves, on peut vouloir s’améliorer sans pour autant viser la perfection ou vouloir rejoindre des attentes qui sont inaccessibles. Et montrer aux autres que ces attentes ne sont pas réaliste c’est aussi contribuer, petit à petit, à changer les attentes que la société a pour les parents et réduire ce fardeaux pour les autres parents, c’est un travail d’équipe qui va au-delà de l’impact qu’il peut avoir sur nous.
Et puis on doit aussi se donner une chance en fonction de nos circonstances actuelles. Certains jours on peut être le «parent parfait» et rejoindre nos attentes. Mais pas tous les jours et pas à tous les moments de la journée et c’est normal. On ne peut pas être toujours au meilleur de nous-mêmes. Et certains moments de nos vies on va se décevoir, parce qu’on ne sera pas à la hauteur de ce qu’on voudrait, mais si on peut se pardonner ce sera plus facile de passer à autre chose.
Alors essayons de laisser aller certaines attentes. Avoir des ados me permet entre autre une certaine distance et j’aime me demander, avec ma plus jeune : «Est-ce que ça va avoir un impact dans 5 ou 10 ans ?» Souvent la réponse est non. Il y a des choses qui pourront avoir un impact, mais platement, la plupart du temps, on ne sait pas à ce moment ce qui en aura vraiment. Mais la plupart de ce qu’on fait maintenant n’aura pas un si grand impact, pas chaque geste qu’on pose. Ce qui aura le plus grand impact c’est d’agir en fonction de qui on est vraiment, en ligne avec nos valeurs et de ce dont nos enfants ont vraiment besoin, mais ça aussi c’est parfois difficile à réconcilier, j’en reparlerai.
Se recentrer sur soi
En attendant, se recentrer sur soi est probablement la meilleure chose à faire même si elle n’est pas simple. Je vous encourage à commencer en prenant soin de vous d’une façon qui vous convient vraiment et en clarifiant vos valeurs personnelles pour faire le ménages dans vos attentes.
Est-ce que ça vous rejoint ? Sentez-vous que c’est ce que vous vivez comme parent ? Est-ce que votre expérience est différente ?
2 Empowerment et intervention. Développement de la capacité d’agir et de la solidarité, William A. Ninacs, Presses de l'Université Laval, 2008